L’affectation du résultat n’est pas qu’une formalité juridique. C’est aussi une occasion d’agir au service du développement de votre entreprise.
Affectation du résultat : de quoi parle-t-on ?
Chaque année, l’entreprise doit tenir une assemblée générale au cours de laquelle ses actionnaires approuvent les comptes, constatent le résultat et décident de son affectation.
Les possibilités d’affectation du résultat
Si l’exercice s’est soldé par un bénéfice (un résultat positif), ce dernier doit être réparti entre les réserves et une distribution de dividende.
Plus précisément, les réserves d’une entreprise désignent :
- les réserves obligatoires, qui doivent être abondées à hauteur de 10% du capital social,
- d’éventuelles réserves facultatives prévues dans les statuts par les associés ou demandées par des tiers (banquiers, prêteurs…),
- les réserves libres (report à nouveau), qui permettent de reporter dans le temps la décision d’affectation.
La mise en réserve n’influe en rien sur la trésorerie de l’entreprise. Il n’y a aucun virement de trésorerie à effectuer vers un quelconque compte bancaire dédié aux réserves : l’affectation du résultat est une notion uniquement comptable.
En revanche, une distribution de dividende se matérialise bel et bien par une sortie de trésorerie de l’entreprise en faveur des actionnaires le jour du versement.
Comment faire le bon choix ? Réserves ou dividendes ?
Du point de vue de la théorie financière, les deux options sont absolument équivalentes. En effet, les actionnaires étant propriétaires de l’entreprise, un euro a strictement la même valeur s’il est laissé dans les comptes de l’entreprise ou sur leur compte bancaire personnel.
Cependant, de nombreux chefs d’entreprises privilégient le dividende par réflexe. L’attrait en est facilement compréhensible, surtout lorsque les actionnaires travaillent dans l’entreprise…
Il nous semble néanmoins primordial de rappeler le rôle des réserves et leur intérêt pour le développement de l’entreprise. Voici quelques arguments tirés de notre pratique.
Faire des réserves un levier de développement
Les réserves pour éviter la sous-capitalisation
Consolider les réserves est avant tout une mesure de prudence, particulièrement si la société peut connaître des difficultés, par exemple parce qu’elle est jeune.
En effet, le Code du commerce impose la recapitalisation ou la dissolution des entreprises dont les fonds propres passent sous la moitié du capital social suite à des pertes (Article L223-42).
Renforcer les fonds propres au-delà des réserves légales est donc un acte défensif, qui permet de prévenir un exercice difficile ou la perte d’un client important. Le poste à utiliser est celui du report à nouveau, qui peut être utilisé pendant 10 ans.
Les réserves pour rassurer les partenaires
Aucun capital social minimal n’est requis pour créer une entreprise commerciale : 1 euro suffit. Effet collatéral, les encouragements à la création d’entreprise ont provoqué la naissance de nombreuses entreprises souvent sous-capitalisées, particulièrement dans le secteur des services.
Or, le choix d’un capital social faible a des conséquences sur l’image de l’entreprise, et peut causer des fragilités et une moindre crédibilité.
En effet, les états financiers rassurent les partenaires. On comprend aisément qu’une entreprise de premier plan réfléchisse à deux fois avant de travailler avec un prestataire au capital de 1 euro, 100 euros voire 1000 euros… surtout si la prestation est longue.
Consolider ses réserves dès le premier exercice bénéficiaire peut alors augmenter la confiance des tiers et éventuellement se démarquer lors d’appels d’offres.
Pensez aux clients, mais aussi aux banques.
Les fonds propres sont scrutés de près par les analystes financiers, particulièrement sous le prisme du ratio dettes/fonds propres. C’est l’un des éléments importants de la notation Banque de France, qui cherche à estimer le risque de défaut des entreprises. Il est aussi couramment utilisé par les analystes financiers des banques, et influencera à la fois la facilité à obtenir un prêt, le taux des prêts, et le montant qu’il sera possible d’emprunter.
N’oubliez pas que lorsque le crédit se raréfie, les banques ne prêtent plus qu’aux bons élèves… et c’est “avant” que cette réputation se construit ! Autant soigner ce ratio.
Les réserves pour accélérer le développement
Les réserves n’ont pas qu’une vertu défensive : elles permettent aussi d’accélérer le développement, parfois en bénéficiant d’un effet de levier.
En effet, les subventions publiques ou privées sont généralement plafonnées à une certaine proportion des fonds propres. Consolider ses réserves permet donc de faciliter l’obtention de financements externes.
Citons par exemple le réseau Entreprendre, qui propose des prêts d’honneur. Malgré leur caractère de prêt, ces fonds s’ajoutent aux fonds propres lorsqu’il s’agit d’obtenir des financements bancaires. Cela démultiplie l’intérêt de consolider ses réserves !
Voici un exemple
Imaginons une entreprise au capital social de 10 000 €. Elle est éligible à certaines subventions dont le montant est plafonné à hauteur de ses fonds propres. En outre, son banquier accepte de lui prêter de l’argent sous réserve de respecter un ratio dette/fonds propres inférieur à 1, la subvention pouvant faire partie des fonds propres pour ce calcul.
L’entreprise vient de réaliser un bénéfice de 20 000 € et s’interroge sur l’affectation de ce dernier.
Premier cas : distribution intégrale en dividende, aucune mise en réserve | Deuxième cas : mise en réserve du résultat | |||
Capitaux propres | 10 000 € | Capitaux propres | 10 000 € | |
Réserves | 20 000 € | |||
Subventions | 10 000 € | Subventions | 30 000 € | |
Dette bancaire | 20 000 € | Dette bancaire | 60 000 € | |
Total passif | 40 000 € | Total passif | 120 000 € |
Dans le deuxième cas, l’entreprise a accès à potentiellement 80 000 € supplémentaires pour investir dans son outil industriel ou commercial et accélérer son développement. Chaque euro mis en réserve a permis 4 euros d’investissements : c’est un cercle vertueux.
Les réserves pour préserver les liquidités
Autre argument en faveur des réserves : préserver la trésorerie.
En effet, certains chefs d’entreprise débutants voient dans l’annonce d’un résultat positif une sorte de manne qui tombe du ciel le jour de l’assemblée générale, en juste rémunération des efforts de l’exercice précédent.
Il n’en est rien : le résultat n’a aucune raison de se retrouver disponible sur le compte bancaire de l’entreprise au moment de l’affectation du résultat. Ce serait même un cas exceptionnel !
En effet, le résultat et les réserves sont des éléments du passif du bilan. Ce qui compte lorsque l’on souhaite distribuer un dividende, c’est la trésorerie, et donc l’actif. Au fil de l’exercice, l’entreprise a pu utiliser sa trésorerie de multiples façons : réaliser des investissements, financer son besoin en fonds de roulement, rembourser des prêts… parfois même, une part du résultat n’est pas encore encaissée (en comptabilité d’engagement, une facture contribue au résultat dès qu’elle est émise, donc avant qu’elle ne soit encaissée… si elle l’est un jour !).
Ainsi, si un résultat positif permet juridiquement de distribuer un dividende, il n’est pas toujours opportun de le faire. Il serait malheureux de devoir s’endetter pour payer le dividende !
Pour distribuer un dividende de façon saine, l’entreprise doit avoir intégré le dividende dans son plan de trésorerie et, pourquoi pas, avoir pris soin de mettre de côté la trésorerie tout au long de son exercice comme le ferait un ménage qui crée son épargne de précaution…
Les réserves pour décaler la fiscalité
Pour une personne physique, la perception d’un dividende est soumise à flat tax de 30 %. Pour les personnes morales, le taux varie selon les régimes de détention. C’est un deuxième impôt à payer après l’impôt sur les bénéfices.
À l’opposé, un résultat laissé en réserve n’est pas fiscalisé une deuxième fois. L’entreprise peut donc profiter à plein de cette ressource et la réinvestir dans son développement pour créer de la valeur pour ses actionnaires.
Voici un exemple théorique, à adapter à votre situation.
Soit un placement qui rapporte 10% par an.
Dans le premier cas, l’investisseur laisse son argent capitaliser sur ce placement pendant 10 ans. Il récupère ensuite son capital et paye l’impôt sur la plus-value (30%).
Dans le deuxième cas, l’investisseur place son argent sur le même support, mais récupère son argent chaque année, paye l’impôt (30 %), puis replace sur ce même placement. On peut donc considérer qu’il s’agit d’un placement à 7 % net d’impôt.
Taux de rémunération | ||
10 % brut | 7 % net | |
Capital en année 0 | 100,00 | 100,00 |
Capital en année 10 | 259,37 | 196,72 |
Impôt dû sur la plus-value | 47,81 | 0,00 |
Capital net en année 10 | 211,56 | 196,72 |
Au bout de 10 ans, l’investisseur qui a laissé capitaliser son argent est plus riche que celui qui a récupéré son argent chaque année, du fait des moindres frottements fiscaux.
Bien entendu, les anticipations d’évolution fiscale peuvent aussi influencer cet arbitrage. Néanmoins une chose est sûre : à fiscalité constante, il est toujours plus intéressant de retarder le paiement de l’impôt.
Mettre un résultat en réserve, c’est donc éviter aux actionnaires de payer l’impôt sur les dividendes trop tôt.
Quelques points d’attention supplémentaires…
Évoquons brièvement quelques sujets connexes.
Personnes physiques : attention au mythe du 100% dividende
Dans une SAS dont les dirigeants se rémunèrent peu ou pas en salaire, une distribution intégrale en dividende peut être tentante. Nous vous recommandons cependant d’éviter de tomber dans le piège de la rémunération “100% dividendes” que l’on constate trop souvent dans les SAS. C’est un sujet dense que nous traiterons en détail ultérieurement.
Garder des réserves alors que les taux sont nuls ?
Dans notre monde de taux bas, les liquidités laissées sur un compte courant ne sont pas rémunérées. Cela peut influencer la décision en faveur des dividendes, si les associés estiment mieux pouvoir placer cette liquidité à titre personnel.
Toutefois, des solutions de placement pour entreprise existent, tels que des comptes à terme progressifs et déblocables. Parfois, il est aussi intéressant de créer une convention de trésorerie intra-groupe pour faire circuler le cash entre plusieurs entités et réduire le coût de financement à l’échelle du groupe…
Quoi qu’il arrive, le taux de placement de la trésorerie ne doit pas influencer la décision d’affectation d’un résultat ! Les projets de l’entreprise et son objet social doivent primer.
Holding : valoriser les participations au mieux
Sur le plan strictement financier, l’arbitrage entre réserves et dividende est un arbitrage entre le potentiel de développement de l’entreprise et les alternatives dont disposent les actionnaires.
Les gérants de fonds de private equity sont familiers avec ce raisonnement. Un euro est-il plus rentable laissé dans l’entreprise ou remonté à l’actionnaire et réinvesti ailleurs ?
Cette question est au cœur de la philosophie d’investissement de Warren Buffett, qui estime que les investisseurs sous-estiment le pouvoir des “retained earnings” (résultats conservés et réinvestis par l’entreprise) dans la création de valeur à long terme, tant ils sont obnubilés par les dividendes… Cependant, le même Buffett fustige les dirigeants qui réinvestissent mal leurs résultats (par exemple, en menant des projets d’acquisition destinés à flatter leur ego…), lesquels devraient, selon lui, distribuer l’intégralité des résultats pour laisser les actionnaires arbitrer.
Le mieux est de raisonner au cas par cas plutôt que de suivre un dogme !
Absence de dividende : attention au respect des minoritaires
L’affectation des résultats étant décidée en AG, les actionnaires majoritaires sont souvent maîtres de la décision.
Dès lors, l’absence systématique de dividende peut être vécue comme abusive par les actionnaires minoritaires. La Cour de Cassation a toutefois rendu une décision considérant que l’abus n’est caractérisé que lorsqu’il y a à la fois une thésaurisation sans motif conforme à l’objet social, mais aussi, en parallèle, des décisions favorisant certains actionnaires majoritaires (facturations internes surévaluées, hausse des rémunérations…).
En conclusion : dividende ou réserves ?
Entre dividende et réserves, tout est question de juste équilibre et de contexte.
L’important à retenir, c’est que la décision d’affectation du résultat n’est pas qu’une simple formalité administrative. Elle engage l’entreprise, ses associés, son image, ses partenaires… et ne doit pas simplement répondre au besoin d’argent de l’actionnaire !
Un bon expert-comptable réalise la comptabilité de votre entreprise, optimise sa fiscalité, la rémunération de ses associés, et s’assure du respect des obligations légales.
Mais va aussi au-delà.
Il peut aider à prendre les décisions stratégiques au service de vos ambitions. Nous “challengeons” votre stratégie, votre business plan… ou aider à y réfléchir si tout est encore à faire.
Pour rester dans le thème de cet article, il déterminera combien de fonds propres vous devez viser pour assurer votre développement au fil des ans, combien de dividendes vous pouvez verser sans compromettre la pérennité de votre entreprise, et comment financer votre croissance de façon optimale.
Votre entreprise est unique, offrez-lui un accompagnement humain sur-mesure !